En se rendant par la route d’Aix en Provence à Manosque, le conducteur traverse la Durance1 sur un nouveau pont au défilé de Mirabeau (aussi appelé Cante-Perdrix). L’anticlinal de Mirabeau et les reliefs encadrent le défilé de manière permanente et statique. A côté de cela, la Durance qui semble si calme, a construit un lit qui semble anormalement large : c’est que la Durance, torrent de montagne, avant d’être domestiquée, a dévasté par ses crues, érodant les berges, inondant les terres cultivables.
Mme de Sévigné, dans une lettre à sa fille s’exclamait en parlant de la Durance :
Je ne reviens pas de l’étonnement de sa furie et de sa violence ; lettre CCLXXVI, 27/11/1675. je croyois que vous attendriez au moins que vous eussiez passé cette chienne de Durance. Lettre CCXXII, 3 juin 1675.
En 1664, César, le fils de Nostradamus, résumait dans son Histoire de Provence :
La Durance est naturellement brusque, violente, limoneuse, furieuse, inconstante, inapprivoisable et méchante […] elle ne se laisse manier à sorte de bateaux quelconques […] hors de quelques radeaux qui ne craignent les tempêtes.
L’étude des archives nous apprend que les crues étaient récurrentes au XIVè siècle, s’intensifient au milieu du XVIè et perdurent jusque vers 1850. 188 crues de plus de 3m au pont de Mirabeau entre 1832 et 1890 dont 7 supérieures à 7m.
Celle de 1843 entraina presque tous les ponts de la rivière entre les Mées et Cavaillon. Les cartes de l’époque révèlent une rivière bien plus large qu’aujourd’hui avec de multiples chenaux entre des iscles2 comme le montre la carte d’état-major du début du siècle.
Dans le but de protection contre les crues et production d’électricité, le cours de la Durance est aménagé dans les années 1960 : barrages de Serre-Ponçon, l’Escale, Sainte-Croix ; les débits ont été réduits : à Mirabeau, le débit moyen annuel passe de 175m3/s pendant la période 1939-1958 à 11m3/s entre 1961 et 1985. Les lits fluviaux se rétrécissent, la végétation envahit la rivière qui s’enfonce sous l’effet des extractions de matériaux (carrières), les constructions de lotissements, zones d’activité, voies de communication, se développent en bordure de rivière.
Depuis que l’aménagement est terminé, quelques crues (1963, 1976, 1977, 1993) ont montré à ceux qui s’étaient trop approché de son lit mineur pourtant démesuré, qu’elle était néanmoins toujours aussi redoutable.
Routes et ponts autrefois
Sous Auguste l’itinéraire le plus fréquenté et le plus court de Tarascon à l’Italie est celui de la Durance ; au VIè siècle les Lombards le suivent d’Embrun aux abords d’Avignon. Au XIIè siècle le comté de Forcalquier s’étire le long de la Durance de la Tour de Sabran (Cavaillon) à Roche de Rame (près d’Embrun).
Ce tracé traditionnel était aussi celui des troupeaux transhumants entre la Crau et les Alpes. La route de la Durance sera aussi celle des pèlerins se rendant à Rome. La grande route du Rhône en Italie ne traversait la Durance qu’une fois, à Cavaillon, à l’aide d’une barque ; c’est le nocher qui faisait traverser le cours d’eau. Les ponts romains qui subsistent se trouvent tous sur des voies secondaires : sur l’Aiguebelle à Céreste, sur le Buès à Ganagobie.
Ponts à Mirabeau
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- D’après Claude-François Achard « le pont de Canto-Perdrix existoit encore à cette époque [1233] ». Ce serait le premier pont à cet endroit. Parmi les ponts modernes,
- un premier pont en « fil de fer » fut ainsi construit en 1831 par l’ingénieur Seguin. Ce sont ces pylônes monumentaux, de pierre et de brique, d’un style néo-roman assez impressionnant, qui subsistent encore. Sa portée était de plus de 150 m, au plus étroit du défilé, à côté de la chapelle Ste-Madeleine. Pour surveiller les câbles, une corporation de garde-ponts reçut des pleins pouvoirs de police. Le bac est supprimé en juin 1833. Côté Vaucluse, le bâtiment d’arrimage des câbles est accessible par un étroit escalier de pierre.
- À ce pont succéda en 1935 un pont suspendu, qui dura jusqu’en 1990, pont tout aussi monumental, et dont les grandes plaques de pierres sculptées en hauts reliefs féminins représentant les quatre départements jouxtant le pont ont été récupérées et ornent actuellement le centre du rond-point. Les massifs d’ancrage et leurs 14 paires d’imposants boulons sont visibles de chaque côté de la Durance.
- l’ouvrage contemporain… à piles, traditionnel dans le principe.
Barques et bacs
Au moyen-âge les bacs sur la Durance étaient relativement nombreux : Pertuis, la Brillanne, près de Sisteron. Ils apparaissent parmi les biens octroyés par des chevaliers, détenteurs de seigneuries, à de grands monastères provençaux.
Le bac de Mirabeau (19m de long, 4m50 de large) était l’un des plus fréquentés. Le lieu-dit « la Barque » près du pont de Mirabeau, rappelle sans doute ce lieu de passage. Les bergers qui conduisent les troupeaux aux alpages passaient probablement par le bac de Meyrargues ou Mirabeau. Les plus grands bacs pouvaient recevoir jusqu’à 180 personnes, ou 15 chevaux, ou bien 1 ou 2 charrettes.
- Le 11 décembre 1364 Foulque d’Agoult vend le port de Mirabeau à Augier de Forcalquier, seigneur de Mirabeau qui obtient le « pouvoir de faire un port ou d’établir un bateau sur la Durance entre le territoire de Mirabeau d’un côté et le territoire de la Cour, de l’autre côté… avec toute autorité d’y faire traverser les gens, bêtes et autres choses […] »
- En 1488, le nouveau bac de Mirabeau ne mesure que 14 m de long pour 4 m de large ; en 1506, il était plus petit encore, sans doute parce qu’il ne transportait que des gens à pied ou à cheval
Voir gravure : la circonférence de la traille, gros cordage tendu en travers de la rivière et servant au passage du bac, mesurait jusqu’à 360 m de long à Mirabeau, en 1831. La traille était attachée des deux côtés aux collines qui bornent le lit de la Durance.
On éloignait d’abord le bac de la berge avec une perche, et le courant venait alors frapper le flanc de la barque, qu’on maintenait légèrement inclinée à l’aide du gouvernail, donnant ainsi l’impulsion nécessaire pour la traversée : par l’intermédiaire de son arbre, le bateau coulissait le long de la traille et avançait ‘en crabe’ jusqu’à l’autre rive. Lorsque le courant n’était pas assez fort, on se halait sur la traille à la force des bras… Pour que cet astucieux système soit efficace, il fallait que la traille soit réglée correctement en hauteur et maintenue toujours tendue.
Pour cela, on la faisait passer sur des ‘chèvres‘ (ou fourches), de bois croisés, et la tension pouvait se régler par un ou deux ‘tours‘ (ou cabestans), le tout installé sur les rives. Sur la berge, des ‘cordes secondes‘ haubanaient la traille (à Mirabeau, il se peut qu’elles aient été accrochées au rocher où se trouve la chapelle car un anneau de fer est encore visible).
Il faut attendre le XIXè siècle pour que l’accès au bateau passe de structures précaires ou chemins empierrés à de véritables rampes d’accès. A Mirabeau un quai maçonné existe depuis le XVIIIè ; pour éviter aux passants de nombreux errements dans le lit de la rivière, les bateliers devaient baliser le chemin menant au bateau. Quelquefois il était nécessaire de franchir à gué certains bras d’eau. Parvenus au bateau, les voyageurs embarquaient en gravissant le trapadour, sorte de passerelle en bois faisant la jonction etre la terre ferme et le bord supérieur du bac.
Sainte-Madeleine : en 1251 la petite église romane est dénommée Sainte-Marie-Madeleine du Pont, patronne de nombreux hospices pour voyageurs. Les voyageurs venaient solliciter la protection de Dieu et le remercier.
Saint-Martin
Selon C-F. Achard, « Il y avoit une chapelle à chacune de ses extrémités […] sur la gauche celle de Saint-Martin. Auprès de cette dernière, étoit un hopital […], de même qu’à Saint-Paul de Durance. Le soin de ces maisons fut confié à des chanoines réguliers de la congrégation de Chalvet. » Si l’on regarde la carte de Cassini établie en 1778, de l’autre côté du pont, il est fait mention de Saint-Martin. La chapelle a disparu au moment des travaux autoroutiers.
Le bac à trailles, principe d’ensemble de ce procédé de franchissement, est apparu au moins dès le XVIè siècle ; au XIXè siècle, il ne s’est appliqué qu’au bassin de la Durance et à ses affluents, et non aux autres cours d’eau français. Pas si vieux que cela… Le département des Bouches-du-Rhône a toujours un bac, celui de Barcarin. Pas si démodé…
Le défilé de Mirabeau : un grand site naturel humanisé à fonction primordiale de passage, André de Réparaz
La navigation sur la Durance depuis les gaulois jusqu’au XIXè siècle – bateaux, bacs et radeaux : aperçus techniques, Jean Ganne, Amicale des lycées Vauvenargues, 2005
La Durance de long en large. Ouvrage collectif, les Alpes de lumière. Edit. : Edisud, Aix. 2005
1Durance : forme grecque drouentias, forme latine Durentia se retrouvent dans le nom de beaucoup de rivières alpestres et signifierait courir, couler avec force
2iscles : îles formées de galets et de sables
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Magnifique DURANCE, malheureusement interdite d’accés de PERTUIS jusqu’au au pont de MIRABEAU durant les plus belles périodes de l’année. Merci, c’est plus facile d’interdire que de prendres des initiatives.
Donc allez dans les Bouches du Rhône ce n’est pas interdit de ce côté, mais c’est beaucoup moins beau.
PERTUISIENS passez votre chemin ou vous deviendrez des délinquants.
Un PERTUISIEN pas content.