Confidences : les traces d’un flash légendaire entre Antoine De Saint-Exupéry et Sylvia Hamilton

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QUELQUES ECHANGES ÉPISTOLAIRES et 11 JOLIS DESSINS

Sources : Bibliorare

Lettres

1 – Lettre inédite d’Antoine de Saint-Exupéry à Silvia Hamilton, datée et signée New York, 29 avril 1942, lui annonçant son départ pour le Canada où, à l’invitation de son éditeur montréalais, Bernard Valiquette, il doit animer des conférences en lien avec la publication de Pilote de guerre :

 Je ne parviens pas à vous joindre par téléphone ! Je suis brusquement obligé de prendre l’avion pour le Canada où je dois passer quarante huit heures. J’aurais voulu vous revoir ce matin, dès que je l’ai su. […]
La vie est vraiment bien compliquée et je suis très en colère contre elle.

D’autres complications attendaient pourtant Saint-Exupéry puisqu’il dut attendre plusieurs semaines la régularisation de son visa avant de regagner New York.

2 – Antoine est bloqué au Canada en 1942, il envoie une lettre à Sylvia

Chère Sylvia,
Je me suis retrouvé bloqué dans ce pays dont je croyais revenir en quarante-huit heures, les amis qui m’avaient fait venir et en qui j’avais toute confiance se sont trompés dans les problèmes de passeports et de visas et voilà plus de quinze jours que j’attends d’heure en heure l’autorisation de rentrer. Ce séjour en face du téléphone et le nez contre la frontière est un véritable supplice chinois. Je suis très désespéré. Il m’est impossible de te téléphoner. Notre langue étrangère compliquerait encore les choses. [Antoine ne parle pas anglais, il échange oralement avec Silvia en mauvais allemand] Tout est déjà bien assez difficile ! On m’a juré que les formalités seraient terminées d’ici trois ou quatre jours. Je t’appellerai dès que j’aurai abordé la terre de la délivrance. Pardonne-moi mon silence : je n’ai pas le cœur à écrire. Ni le courage. Je suis tout à fait malade de subir tant d’absurdes ennuis.
Crois-en ma profonde amitié.
Antoine de Saint-Exupéry


3 – Belle lettre inédite d’Antoine de Saint-Exupéry à Sylvia Hamilton, lettre signée et datée, New York, 23 septembre 1942 ; tâche brune à l’angle inférieur gauche. D’une grande douceur nostalgique :

J’ai vécu une journée infiniment embrouillée. Et difficile. J’avais cependant tellement besoin de silence et de paix pour prolonger en moi cette soirée d’hier qui a été comme un lac merveilleux, mais je ne sais pas très bien vivre. Le lac s’est changé en torrent. J’ai retrouvé tous les éboulis et toutes les pierres.
Cependant j’étais plein de joie et j’avais besoin de me recueillir. J’attends le silence du soir. Je me sens si reconnaissant et cela est si doux.


4 – Autre, et très émouvante, longue lettre d’Antoine de Saint-Exupéry à Sylvia Hamilton, New York, 1942 ?, en grande majorité inédite.

Suite à une incompréhension mutuelle et à un déjeuner manqué, une brouille s’est installée entre les deux amis et le poète, tout en s’interrogeant sur ses torts et en les reconnaissant, en vient à confesser à la fois sa profonde mélancolie et la volonté d’action qui le ronge, une volonté qu’il exprime magnifiquement en quelques mots à la fin de sa lettre…

Tout cela est bien tendu et pénible. Si cela peut t’être agréable je veux bien te faire toutes mes excuses pour mon erreur de ce matin. J’en suis triste non tant à cause de l’erreur qui me paraît bien excusable qu’à cause du climat qu’elle a créé. J’accepte d’ailleurs d’admettre, si tu le désires, qu’elle est inexcusable. […]
Maintenant, certes, j’avoue avoir beaucoup de torts. Je suis nerveux, préoccupé et irritable. Je ne suis un repos pour personne. J’ai de plus un travail fou et un état intérieur qui me le rend prodigieusement difficile. Je ne dis pas ça pour être plaint. Ni même pour être excusé. Je dis ça par fatigue. Certaines confidences ne sont que lâchetés de la fatigue. C’est pourquoi aussi je prends tous les torts. De toute façon, quoi que je fasse, j’aurai des torts. Mon premier tort est de vivre à New York quand les miens sont en guerre et meurent. Même si je suis injuste, même si je suis irritable, même si je suis distrait, cela ne peut guère aggraver des remords qui sont déjà tellement lourds et jouent sur ma foi essentielle.
Pourquoi ne me laisse-t-on pas, à bord d’un avion de guerre, vivre une vie pure ?


5 – Ravissante lettre inédite d’Antoine de Saint-Exupéry à Sylvia Hamilton dans laquelle il évoque ses dessins, New York, 1942-1943 ? Tâches brunes dans les marges supérieure et inférieure.

Chère Sylvia, je suis mélancolique alors j’ai dessiné de petits dessins mélancoliques. […]
Pardonne-moi d’être insupportable. Pardonne-moi de te peiner. Pardonne-moi d’être silencieux. Pardonne-moi d’être comme je suis. Ça ne m’empêche pas d’être bien tendre et de t’embrasser si fort.

Provenance de ces lettres :
Silvia Hamilton-Reinhardt, vente à Paris, le 20 mai 1976, n° 50, resté depuis dans la même collection.

Dessins

New York, été-automne 1942 : 11 dessins originaux donnés à Silvia HAMILTON


Descriptifs :
Exceptionnelle suite de 11 dessins originaux d’Antoine de Saint-Exupéry, constituant indéniablement une première ébauche de l’illustration du Petit Prince.
Dessins : aquarelles, pastels, plumes et crayons, p. 321 et sur la contre-garde et la garde finales ; quelques légères brunissures. Deux taches brunes angulaires plus marquées. Papier légèrement froncé avec pli central un peu marqué.
Tous ces dessins, tracés sur des feuilles de papier pelure Esleeck Fidelity Onion Skin, sont légendés par Saint-Exupéry et neuf d’entre eux sont numérotés.

De gauche à droite et de haut en bas :

0 – Ça c’est avant la vie  : le Petit Prince, portant un nœud papillon, sur un astéroïde au sol desséché au milieu des étoiles et face à un soleil irradiant ; il tient dans la main droite une ficelle retenant un ballon gonflé ;
I  – Ça c’est les premiers pas dans la vie  : le Petit Prince, portant un nœud papillon, debout dans l’herbe face à un château aux tours crénelées ; il a à sa droite une fleur à longue tige ;
IIbis – Ça c’est la douceur des premières illusions  : le Petit Prince, portant une écharpe, flânant sur un sentier passant entre deux champs fleuris, sur fond de collines sous un soleil irradiant et des nuages ;

III – Ça c’est les premières difficultés dans la vie  : un personnage à cheveux longs, portant un nœud papillon et un pardessus, seul au milieu d’un paysage de montagnes acérées, sous un croissant de lune, et disant : J’ai dû me perdre. Je ne retrouve plus mon lit ! ;
IIIbis – Ça c’est les premiers projets d’avenir : le Petit Prince, portant une écharpe, perché sur un sommet pointu dans un paysage de montagnes, avec au fond un soleil irradiant, disparaissant à l’horizon ;
IV – Ça c’est les déceptions dans la vie  : un personnage portant un nœud papillon, seul au milieu d’un paysage désertique contemplant des cactus, des pierres et des os, avec au fond un soleil irradiant, disparaissant à l’horizon ; rehauts de crayon noir ;
V – Ça c’est la vie (très résumée) : le Petit Prince seul au milieu de montagnes pointues, sous un croissant de lune, avec à ses pieds un précipice d’où jaillit la gueule dentée d’un gros reptile ; une flèche désigne le Petit Prince avec la mention Ça c’est moi ; le chiffre V remplace le chiffre IV biffé ;

Vbis – La vie aussi : scène analogue à la précédente, le Petit Prince sortant d’une faille au bord d’un précipice, sans le reptile ;
VI – Ça c’est la sagesse : un personnage au visage un peu grotesque, attablé devant un verre, au milieu d’un parterre de fleurs, avec dans le fond, à gauche, un sommet pointu et un soleil irradiant ;
Ça c’est quelqu’un qui boude : un personnage portant une écharpe, le visage renfrogné, adossé à un sommet pointu face à un paysage de montagnes avec au fond un soleil irradiant ;
Personne… j’ai dû me tromper de rendez-vous ! : un personnage en habit populaire, perché sur un sommet pointu, dans un paysage de montagnes ; derrière lui, un petit personnage rappelant le Petit Prince lui-même perché sur un pic rocheux, semblant faire de grands signes au personnage principal.

On trouve entre ces dessins et l’illustration définitive du conte, des similitudes vestimentaires (nœud papillon, écharpe, etc.) et dans la gestuelle et les attitudes du Petit Prince, des ressemblances frappantes dans les paysages (montagnes acérées, dunes, étoiles, soleils irradiants, fleurs, etc.) et plusieurs correspondances remarquables, par exemple :

  • le dessin 0 très proche de l’illustration de la p. 15 de l’édition originale ;
    le personnage ayant perdu son lit évoquant l’allumeur de réverbères ;
  • le dessin IIIbis très proche de l’illustration de la p. 63, tout comme le IV de celle de la p. 55 avec l’os et le cactus ;
  • la composition du dessin V correspondant à celle de l’illustration de la p. 83 qui représente le Petit Prince coincé en haut d’un mur au pied duquel se dresse un serpent ;
  • le buveur du dessin VI et celui du conte étrangement similaires, par leur physique, leur habillement et leur attitude ; etc.

Ces dessins sont à rapprocher de ceux que Silvia Hamilton-Reinhardt céda à la Morgan Library en 1968 – eux-mêmes sans doute postérieurs aux nôtres parce qu’ils semblent plus aboutis et, pour certains, déjà aquarellés. Ils sont restés inédits jusqu’à ce jour à l’exception d’un seul, le I, qui fut reproduit à trois reprises : en couverture du catalogue de la vente Sylvia Hamilton-Reinhardt du 20 mai 1976 et, d’après cette reproduction, dans le catalogue de Delphine Lacroix, Antoine de Saint-Exupéry.

Provenance : Sylvia Hamilton-Reinhardt, vente à Paris, le 20 mai 1976, n° 59 ; resté depuis dans la même collection

Cette suite constitue certainement le seul ensemble encore en mains privées de dessins préparatoires à l’illustration du Petit Prince, œuvre littéraire et graphique universelle…

Souvenirs

Deux souvenirs confiés par Silvia HAMILTON à la revue ICARE en 1975 :

J’avoue que j’étais impatiente de rencontrer l’auteur d’un livre si beau et si poétique. Naturellement, je ne l’avais jamais imaginé physiquement, mais je n’ai pas été déçue. Il ressemblait à un bon gros ours merveilleux et il était timide et bourru. […]
Le cercle des cafés littéraires et des cocktails-parties, grâce auxquels nous fîmes connaissance, était son univers. […]
Il ne brûlait pas seulement de revoir son pays. Il brûlait de mettre à son service les compétences supérieures qu’il savait être les siennes. […]
Bien sûr, il y avait la France Libre. Mais il n’était pas Gaulliste. Il n’était pas pragmatiste et n’acceptait de subordonner à personne ses idéaux. Dans la colonie des Français émigrés à New York, il resta jusqu’au bout un personnage isolé et pas très apprécié. 

Souvenirs de Silvia Hamilton, Icare, n°84, 1978

Evocation légère de la rencontre au printemps 1942 jusqu’aux adieux de fin avril 43, avec ce commentaire de la revue ICARE en 1978 : Nous insistons sur cette rencontre, tant la relation entre Antoine et Silvia fut déterminante pour Saint-Exupéry

[…] Quand nous nous sommes rencontrés il m’a raconté l’histoire du Petit Prince qu’il n’avait pas encore commencé d’écrire. Comme il faisait constamment de merveilleux croquis, je lui suggérai d’illustrer lui-même ce livre. […]
Au printemps 1943, il réussit enfin à rejoindre l’Afrique du Nord. Les conditions qu’il y trouva le rendirent malheureux, ce que décrivent particulièrement bien les deux dernières lettres qu’il m’adressa. […]
Le jour de son départ approchait (pour l’Afrique du Nord, avril 1943). Je lui fis faire un bracelet d’identité en or. […]
Je le lui donnai le matin où il vint me faire ses adieux. En partant il me dit : Je voudrais te donner quelque chose de splendide, mais c’est tout ce que j’ai.  Il me mit dans les mains son vieil appareil Zeiss Ikon et le manuscrit français du Petit Prince.

Souvenirs de Silvia Hamilton, Icare, n°84, 1978

Photo de Sylvia prise très probablement durant l’été 1942 par Antoine De Saint EXUPERY : un flash bien justifié pensa le petit prince…un éblouissement même

©copyright randomania.fr

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