Le bateau romain « le plus complet au monde ». Les fouilles du limon du Rhône ont révélé un « trésor », reconnu comme tel par le ministère de la culture en 2010 : un chaland de 31 mètres de long sur 3 mètres de large, avec sa cargaison de 27 tonnes de pierres. Midi libre, 4 octobre 2013
Historique de la découverte
Environ 50 après J.-C. : sous le règne de l’empereur Néron, une barge romaine coule dans l’ancien port romain d’Arelate (Arles romaine), sur les berges du Rhône, probablement à cause d’une crue violente alors qu’elle était arrimée au port
2004 : quelques planches de bois sont repérées dans les eaux troubles du fleuve, par dix mètres de fond, dans le cadre des missions de carte archéologique de Luc Long (Le Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines : Drassm)
2007 : mise au jour en rive droite du Rhône (Trinquetaille) à Arles, d’un portrait inédit de Jules César, vraisemblablement exécuté de son vivant ; le marbre est exceptionnellement rare et l’artiste hors du commun. Identification du portrait
Juillet 2008 : première campagne de fouilles
Juillet-octobre 2011 : dernière campagne de fouilles ; la barge est découpée sur place en 10 tronçons 2 à 4 mètres de long puis expédiée dans un laboratoire spécialisé de Grenoble
2009-2010 : exposition César, le Rhône pour mémoire, bilan de 20 années d’exploration dans le Rhône.
Luc Long conservateur en chef du patrimoine DRASSM
Octobre 2010 : début des fouilles
novembre 2010 : la barge est classée trésor national par le ministère de la Culture
2011 : découverte d’un réseau d’adduction d’eau potable sous-fluviales
Juin 2013 : l’arrière du chaland arrive en pièces détachées dans les réserves du musée
A partir du 5 octobre 2013, le Musée départemental Arles antique dévoile l’épave d’un navire romain sortie presque intacte du fleuve et présentée comme si elle était à quai, dans une extension du musée spécialement construite à cet effet. La nouvelle aile de près de 900 m2 met en valeur le rôle du Rhône dans l’Antiquité et présente ainsi plus de quatre cents objets.
2014 : prévision de la publication scientifique des fouilles par le CNRS (dir. Sabrina Marlier).
Le port
En tant que port fluviomaritime, Arles a dû très vite s’adapter à l’affluence massive et encombrante des amphores. Une fois arrivés à destination, ces emballages, vidés de leur contenu, ne présentent a priori plus aucune utilité. Pour Arles, il semble bien que l’une des préoccupations majeures des colons consiste à stabiliser et surélever les berges en utilisant les milliers d’amphores qui remontent le Rhône. Force est de constater que la grande majorité de ces conteneurs semble bien avoir été jetée massivement dans le Rhône en faisant un dépotoir portuaire. Certains pots enduits de poix – équivalents de nos conserves – portaient la mention peinte de leur contenu : sardines, viandes, olives noires, oignons, etc.
Le limon du fleuve et les couches de déchets disposées au-dessus des vestiges ont protégé ces derniers en les isolant principalement de la lumière et de l’oxygène contenu dans l’eau ainsi que du courant du fleuve.
Le relevage de l’embarcation
Trop lourde pour être soulevée d’un seul tenant, trop grande pour entrer dans les piscines des restaurateurs, l’embarcation va donc être découpée sous l’eau en dix tronçons. Sont rassemblées des équipes d’archéologues, et des spécialistes de travaux subaquatiques (Ipso Facto) qui peuvent rester sous l’eau deux fois plus longtemps qu’un plongeur autonome. Le courant et la faible visibilité compliquent la tâche.
L’épave est découpée à la scie égoïne en 10 tronçons. De chaque côté de celui-ci, des tranchées sont creusées. Un berceau d’acier en forme de U est placé au dessus du tronçon ; les lattes qui forment le fond du berceau sont glissées sous l’épave ; la terre glaise et l’argile sont poussés vers la suceuse. Un contact radio permanent est assuré depuis le quai.
Le berceau est remonté sur la plate-forme percée en son centre d’une piscine. Le ponton est déplacé à l’aide de treuils vers le quai ; une grue le transporte sur un chariot à roulettes. Documentés, puis désassemblés, tout en étant continuellement arrosés, les bois sont emmenés par camion au laboratoire Arc-Nucleart à Grenoble, chargé de la restauration.
A leur sortie de l’eau, les objets en terre cuite sont stockés dans des caisses. Les petits objets sont conditionnés à part. Ils sont pris en charge par la société Ipso Facto, spécialisée dans la conservation préventive des objets archéologiques.
Dossier de presse du CG13
Trois vidéos des opérations de relevage
Techniques de conservation en deux ans seulement
Comment conserver 11 tonnes d’un bois fragile qui ne doit surtout pas sécher ?
Toutes les pièces ont ainsi passé près de 8 mois dans d’immenses bacs remplis de résine, du polyéthylène glycol au faible poids moléculaire pour une imprégnation rapide, dans les locaux d’Arc Nucléart à Grenoble, une unité du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) dédiée à la conservation et la restauration des bois immergés.
Le reliquat d’eau a été éliminé par lyophilisation1 (société Lyophal) ; une congélation à -30° a transformé l’eau en glace ; une mise sous vide a provoqué la sublimation de la glace qui s’est évaporée. En moins de deux mois, le bois était sec, sans déformation : une pièce de 400kg en pesait la moitié à la sortie du lyophilisateur.
Les chimistes ont vérifié l’éventuelle présence de sulfure de fer au niveau des 1700 clous en fer forgé ; en effet, le sulfure de fer combinée à l’humidité de l’air, avait provoqué l’acidification du bois sain sur l’épave suédoise du Vasa à Stockholm ; la société A-Corros ont procédé à l’enlèvement de la majorité des clous de fer et procédé à un curetage préventif, mais les renforts ferreux de part et d’autre de la proue ont été conservés. Une résine polyester avec durcissement par irradiation gamma a rendu le bois impropre à la diffusion d’une éventuelle acidification.
Des bras de soutènement (CIC-ORIO) sont réalisés par un chaudronnier suivant les indications du restaurateur d’ARC-Nucléart. Les pièces sont recollées, consolidées, reconstituées avec des bois modernes pour les parties manquantes. La dernière phase est celle du remontage en atelier à partir des plans dessinés par les archéologues. Le bateau est une nouvelle fois démonté et transporté au musée où il est remonté sur son support.
A Arles, tous les clous d’origine sont remplacés par des tourillons de bois ensuite recouverts d’une tête en résine.
Le budget global est de 9 M €.
La barge complète, comme le sont le navire royal Vasa de Stockholm, Mary Rose de Portsmouth, les bateaux vikings de Roskilde, mesure 31m de long et 3m de large ; elle est destinée au transport de marchandises. L’état de conservation est tel que le navire possède encore son gouvernail, son mat de halage, une partie de ses poulies et de ses cordages et même la cuisine des mariniers avec leurs ustensiles, leur four et la réserve de bois pour la prochaine cuisson.
Cette barge ressemble-t-elle aux barges de l’époque ?
Celle-ci ressemble à toutes les barges…
pas de quille, un fond plat, des extrémités qui remontent doucement, franc-bord2 de moins d’un mètre, assemblage au moyen de nombreux clous en fer, structure primaire de la coque réalisée en chêne,
…mais possèdent des singularités :
- un demi tronc monoxyle3 en sapin pour les flancs, sapin de 40m de haut et 300 ans d’âge selon les analyses dendrochronologiques de F. Guibal (CNRS/IMBE), fendu dans sa longueur pour former les flancs,
- une proue filiforme,
- un système d’étanchéité par lutage4 : des tissus poissés sont placés entre les planches de la coque ; l’étude de F. Médard (Anatex) montre que les tissus sont des chiffons de laine récupérés et trempés dans de la poix ; cette résine de pin chauffée était également répandue sur le bois de la coque,
- un caisson central constitué d’éléments amovibles pour la cargaison,
- elle a conservé tous ses aménagements internes.
La descente du fleuve se fait grâce au courant, la remontée grâce aux hommes qui le halaient depuis la berge par un câble attaché au sommet d’un mât de 3m70.
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