Lagremuse, le village qui ne voulait pas mourir

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Du village à la commune

Lagremuse est aujourd’hui un village fantôme dont les derniers pans de murs s’accrochent désespérément à l’éperon rocheux qui le vit naître. Qu’en restera-t-il dans quelques décennies ? Combien de temps encore luttera-t-il dans ce combat perdu d’avance contre le temps et les intempéries avant de redevenir un désert minéral de pierres ?

Cette ténacité des éléments n’a d’égale que celle de ses anciens habitants qui luttèrent pour conserver au village son statut de commune. Combat perdu d’avance aussi mais qui a duré près d’un siècle !

La commune de Lagremuse est née le 19 mars 1790 à 10 heures du matin et fusionna avec celle du Chaffaut le 12 décembre 1887. Entre ces deux dates, que de péripéties, que de luttes pour conserver le plus longtemps possible le statut tant convoité de commune pour ce qu’il représente de prestige, d’autorité et d’autonomie pour une communauté villageoise si petite soit-elle !

En 1790, dans l’euphorie que suscita la création des communes au sein des nouveaux cantons et districts suite à la création des départements, nombre de petits villages, voire de simples hameaux, firent valoir leur droit de se voir érigés au rang de communes. Le pouvoir, si modeste soit-il, que conférait ce statut suffisait pour pousser des villageois à tenir tête à l’administration pour exiger leur dû. C’est ainsi que cela se passa pour Lagremuse comme pour bien d’autres villages du département.

Sur les 260 communes que compta le département des Basses-Alpes au cours de son histoire, il n’en reste plus que 200 aujourd’hui.

Le premier maire de Lagremuse se nommait Etienne Aubert. Il fut élu avec onze voix. Joseph Meynier fut élu officier municipal avec quatre voix ainsi que Dominique Manent avec trois voix. Laurent Bodoly, avec neuf voix, fut nommé procureur de la commune. On élit également six notables ce qui porta le nombre d’élus à dix pour administrer une commune de moins de 100 habitants (74 au recensement de 1793) et qui ne comptait que dix-sept « citoyens actifs » (donc votants).

citoyen actif : français majeur de 25 ans, domicilié depuis un an dans le canton et payant des contributions directes valant trois journées de travail.

Une volonté de réforme

Devant cette pléthore de communes minuscules, l’assemblée administrative du département décide de mettre en place une réforme visant à regrouper les communes entre elles en réunissant les communes les plus petites (celles qui comptent moins de 50 citoyens actifs) aux communes plus importantes les plus proches (arrêté du 12 décembre 1790).

Plus de deux siècles plus tard, cette réforme ne semble toujours pas achevée puisque la commune d’Archail ne compte, aujourd’hui, que sept habitants !

Trente-huit communes du département sont concernées par cet arrêté. Lagremuse en fait partie. Mais, ces municipalités condamnées à disparaître font de la résistance. D’abord, en ne répondant pas à la demande de l’arrêté de choisir avec quelle commune elles désirent se réunir. Ensuite, en ne donnant pas suite aux enquêtes faites préalablement à cette réunion.

Devant ce manque d’empressement des municipalités à se mettre en accord avec la loi, le préfet envoie, le 22 décembre 1790, à chaque commune, une lettre de mise en demeure. Comme bien d’autres, les représentants municipaux de Lagremuse restent sourds à ces injonctions et leur village continue sa vie de commune.

Un siècle plus tard…

Comme tant d’autres communes du département, Lagremuse souffre d’une maladie incurable : l’exode rural est si fort sur ce territoire aride que sa population décroît inexorablement. Pendant ce temps, la commune voisine, Le Chaffaut, voit sa population augmenter (216 en 1793, 336 en 1886). De plus, nombre de propriétaires du Chaffaut sont propriétaires sur la commune de Lagremuse et sont donc favorables à la réunion.

Tableau de l’évolution démographique de Lagremuse de 1793 à 1886.

1793 74 1851 72
1800 75 1856 64
1806 79 1861 46
1821 73 1866 40
1831 72 1872 38
1836 66 1876 35
1841 55 1881 39
1846 67 1886 40

Graphique de l’évolution démographique

Le 2 novembre 1884, le conseil municipal du Chaffaut demande au préfet la réunion de la commune de Lagremuse à celle du Chaffaut. L’année suivante, le préfet ordonne l’ouverture d’une enquête dite de commodo et incommodo, équivalente à nos enquêtes d’utilité publique, simultanément dans les deux communes. Pour cela, il demande au maire du Chaffaut de désigner un commissaire-enquêteur n’habitant pas pas la localité et présentant les plus grandes garanties d’indépendance et d’impartialité (mars 1885).

Pour faire bonne mesure, le maire du Chaffaut en propose deux : Félix Denoize, conseiller municipal à Digne et Monsieur Gay, instituteur à Saint-Jurson. Le préfet charge le premier du Chaffaut, le second de Lagremuse. Les deux enquêtes sont annoncées par voie d’affiches et au son d’une trompe auprès de la population les 28 juin et 5 juillet 1885.

Mais, Monsieur Gay demande au préfet de permuter avec Monsieur Denoize pour raison de santé et de commodité car, dit-il, il peut se rendre plus facilement au Chaffaut qu’à Lagremuse. Sa demande est rejetée.

Au Chaffaut, l’enquête n’ayant pas été annoncée dans les formes réglementaires devra être recommencée. A Lagremuse, on s’étonne de ne pas voir arriver le commissaire-enquêteur et le maire envoie au préfet une lettre de protestation ! Tout est à refaire.

Le maire du Chaffaut s’impatiente. Il écrit à son tour au préfet mais, cette fois-ci, pour le prier d’accélérer la procédure. Le préfet nomme alors lui-même deux nouveaux commisaires-enquêteurs. Tout se passe bien au Chaffaut, mais le commissaire-enquêteur chargé de Lagremuse ne peut s’y rendre en raison du mauvais temps qui l’empêche de sortir de chez lui ! Nous sommes en octobre 1885.

La fin de Lagremuse

Si, au Chaffaut, tout le monde est d’accord pour la réunion, à Lagremuse, la municipalité traîne les pieds et n’envoie pas au préfet le procès-verbal qu’exige la procédure de réunion. Dans sa séance du 6 juin 1886, elle déclare même que Lagremuse est capable de s’administrer elle-même et refute les arguments de la municipalité du Chaffaut.

En août 1886, le préfet adresse un rapport au Conseil d’arrondissement qui prononce un avis favorable. Devant le rejet du Conseil général, le préfet écrit alors au ministre de l’Intérieur Armand Fallières (mai 1887). Le 12 décembre 1887, paraît enfin le décret qui met un point final à trois ans de procédure.

Les communes du Chaffaut et de Lagremuse sont réunies en une seule commune dont le chef-lieu est fixé au Chaffaut et qui prendra le nom de Le Chaffaut-Lagremuse sans préjudice des droits d’usage et autres qui peuvent être respectivement acquis.

Pour Lagremuse, ce décret sonne la fin du village : en 1914, on n’y compte plus un seul habitant. La commune du Chaffaut-Lagremuse, elle, continue de se développer : en 1962, elle absorbe celle de Saint-Jurson et devient Le Chaffaut-Saint-Jurson, nom qu’elle porte encore aujourd’hui.

En 1973, la commune d’Espinouse est réunie à son tour à celle du Chaffaut-Saint-Jurson.

Ouvrage consulté pour la rédaction de cet article :

Lagremuse. L’existence éphémère d’une petite commune, Marcel Gilly, Chroniques de Haute-Provence, n° 320, 1992

Liens à consulter :

Des villages de Cassini aux communes d’aujourd’hui


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