Le Hameau du Trou à Saint-Antonin sur Bayon

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Mise à jour significative du contenu le 17 février 2014

Tous les randonneurs en route pour la Sainte-Victoire en passant par le refuge Cézanne connaissent le hameau du Trou et sa petite chapelle coincée contre un rocher isolé au milieu d’une aire plate, sur le piémont sud de la montagne.  Afin d’être restauré par le conseil général des Bouches-du-Rhône, il a fait l’objet d’un diagnostic archéologique.

Je remercie infiniment Nathalie Molina et Xavier Chadefaux de l’INRAP de m’avoir communiqué ce document de diagnostic qui a servi de base à mes réflexions.

A l’aide de cette étude, de quelques lectures dont un livre édité par les Amis de Sainte-Victoire, je vous propose un essai de compréhension de ce site. Toute personne pouvant infirmer ou confirmer un élément historique peut m’écrire webmaster de randomania : par avance, je la remercie.

Eléments de chronologie historique de Saint-Antonin sur Bayon

Au second âge du fer, la zone du Trou était déjà occupée ; à l’époque gallo-romaine, le site est réoccupé mais rien ne permet d’affirmer qu’il l’a été de façon continue ensuite. A proximité immédiate du hameau, aucun indice de cette occupation n’a été trouvée.

Les vicomtes de Marseille héritent du domaine de Bayle (plateau du Cengle) vers 950  ; ils donnent le castrum de Saint-Antonin aux moines de Saint-Victor ; puis s’y établit la célèbre commanderie templière en accord avec les moines de Saint-Victor.

En 1550, la seigneurie de Saint-Antonin est rachetée par Antoine Donat puis elle passe aux mains de Jérôme Odaly (vers 1550), Louis de Garnier (1650) dont le père avait épousé la dame de Saint-Antonin et de Bayle. Ce dernier payait toujours une redevance au prieur de Saint-Victor.

Liens entre le Trou et l’Ermitage de Sainte-Victoire

  • Une donation de terre effectuée par Gaspard de Garnier, seigneur de Saint-Antonin et Rousset en 1659 au Sieur Aubert [abbé au prieuré] mentionne à plusieurs reprises les textes de la fin du XVIIè s. Il est question d’un

vallon situé au sud de l’Ermitage jusqu’à un grand rocher qui s’étend en pyramide au milieu dud-vallon, le séparant en deux.

La donation précise que

le sieur de Saint-Antonin donne à bail le terrain (…) pour pouvoir, led-Messire Aubert ou ses successeurs aud-hermittage, y planter arbres, y construire tel bâtiment qu’ils trouveront bon.

Il s’agit  des terrains en forte pente situés au sud de la falaise du côté du jardin des moines. Un espace carré d’à peine 100m de côté (mesuré sur carte IGN), avec un rocher en forme de pyramide bien visible depuis la brèche.

    • L’acte de 1674 (ADBdR 301 E 1292) porte sur un territoire cédé par le Seigneur de Beaurecueil et Roques Hautes, le Sieur (Pierre ?) de Cormis, à Aubert, prieur de l’Ermitage Notre-Dame de Victoire.

Il s’agit d’une terre située au quartier des Armellins terroir dudit Roques Haultes d’une étendue de 31 journaux. Cette terre semble proche du domaine de l’Ermitage ; il est question d’un droit de passage par le Bau Rouge pour aller et venir de Vauvenargues. Cet acte autorise aussi la construction de plusieurs bâtiments, à savoir un four à pain, des fours à chaux, un pigeonnier « à cheval », une garenne et enfin, une chapelle. Approximativement, compte tenu que le journal était une mesure fort variable d’une région à l’autre, ou même d’une commune à l’autre, la terre cédée mesurait approximativement 31*0,33ha ± 10 ha.

Plutôt que 31 journaux, il serait préférable d’écrire 30 + 1 car le journal supplémentaire lui est donné en échange de la promesse de dire une messe à l’ermitage, ou dans une chapelle qu’il construirait à Roques-Hautes.

    • Le document de 1681 (ADBdR 4 B 98) est le texte de la donation avortée – faite par le Sieur Aubert à l’ordre des Camaldules – du domaine de l’Ermitage appartenant au territoire du Seigneur de Beaurecueil.

Le texte rappelle le devoir de dire une messe tous les ans dans la chapelle qui doit être faite. Il est clairement écrit que […] ledit Messire Aubert a fait construire une bastide, fait planter des vignes, arbres fruitiers et autres. M. Court, historien de l’Ermitage, propose d’associer la bastide de 1681 au domaine de Riouffé, dont les ruines sont toujours visibles. Il s’appuie pour cela sur une mention de l’abbé Paulet (1905) : « J. Lambert a reçu en louis d’or et en pièces d’argent et autre monnaie de Me Jacques Riouffé, […] la somme de 123 livres » pour une bastide et son affard qu’il a acquis, et auxquels l’abbé Aubert fait référence dans son testament de 1692.

  • Septembre 1682 : Enquête demandée par l’archevêque

Les habitants réclament une chapelle sur leur territoire pour éviter de se rendre au Tholonet trop éloigné. Parfois, ils utilisent la chapelle du château, ce que n’aime pas le seigneur du lieu. L’archevêque ordonne une visite pour compter le nombre d’habitants de Roques-Hautes. La décision de construire une chapelle est prise. Plus de raison que l’abbé Aubert en construise une.

  • 14 novembre 1682 : vente du terrain de Roques-Hautes
    Les limites du terrain sont clairement exposées ; elles n’ont pas changé depuis la création du fief, et ne changeront pratiquement pas ensuite. A l’est, c’est celle des terres du seigneur voisin de Saint-Antonin.

    … confrontant de levant et de midi de long en long terroir du Sr de Saint-Anthonin, et dudit côté de midi le vallat dit de Bayeu, le grand chemin allant d’Aix à Saint-Anthonin entre deux de couchant [ouest] et septentrion [nord] terres dudit sieur de Beaurecueil.

    Le texte précise que 30 journaux [sont] francs de cense et un journal [est] chargé de quinze sols annuellement […] pour tenir lieu et place de [???] la messe que ledit messire aubert s’était obligé […] dire annuellement pendant qu’il jouirait desdits biens.

Aubert s’était engagé à dire une messe à l’ermitage, tous les ans, pour le Sieur de Beaurecueil et son père, en échange de ce 31è journal à Roques-Hautes ; pour pouvoir en jouir,  les futurs acheteurs devront payer 15 sols de cense.

M. Court suppose que la donation du seigneur de Beaurecueil inclut le hameau du Trou mais d’après le texte précédent, cette terre ne lui appartenait pas. Plusieurs indices par la suite le confirmeront :

  • il est écrit clairement que les limites de sa propriété à l’est, ce sont les terres du seigneur de Saint-Antonin ;
  • les états de capitation de Saint-Antonin (et non Beaurecueil) à cette époque ; en 1704, selon J. Ganne, y figurent 8 ‘David’, identifiés comme demeurant au Trou et au Bouquet ;
  • les recensements de population : en 1728, celui de Saint-Antonin inclut le quartier du Trou ;
  • Au début du XVIIIè la commune est très pauvre : 11 maisons habitées en 1728 dont 4 autour du château, 2 au Trou (sans doute les parents de François et Dominique David recensés sur le cadastre napoléonien de 1827), 4 au Bouquet et 1 à Subéroque. Quelques rares tessons plus anciens confirment cette occupation.
  • Puis on retrouve une trace écrite du hameau du Trou sur la carte de Cassini de 1778 ; il figure avec le même symbole que la Coquille ou Genty, c’est à dire comme établissement agricole : les ruines d’habitations, d’un four à pain, de deux puits, de quelques bâtiments agricoles et d’une aire de battage, les restanques, le confirment ; à l’est un lieu nommé Chateau-Vieux (château de Saint-Antonin sur Bayon), au sud Rieufont (sans doute le Riouffé actuel), à l’ouest la bastide de Roque-Hautes représentée comme un château ou une gentilhommière.
  • Pas de chapelle indiquée sur le cadastre de 1827.
  • On retrouve trace officielle des habitants du Trou sur les recensements de 1841, 1846 et 1851 mais pas au delà.
  • M. Court nous apprend que

    dans ce quartier existe une chapelle ruinée, au pied d’un bloc de pierre surmonté d’une croix. On l’appelle ermitage du Trou. Du temps de l’abbé Fissiaux et de la colonie pénitentiaire de Saint-Pierre sise au château de Beaurecueil [ndlr : la colonie a existé de 1853 à 1880], cette chapelle était fréquentée. Elle était dédiée à Notre-Dame des Sept Douleurs, et le père Rousset en fut longtemps le gardien. Il y a accueilli, après 1875, les pèlerins de la Croix de Provence au retour de leur excursion ; elle est donc mentionnée pour la première fois à la fin du XIXè s.

D’après la biographie de Charles Fissiaux, en 1853 le P. Fissiaux demande à l’état une propriété presque inculte à Beaurecueil pour y créer une ferme modèle pour les détenus qui parviennent à y faire pousser de la vigne ; l’abbé Fissiaux, agronome distingué, a reçu la médaille vermeil pour l’ensemble de ses produits en 1857 au concours agricole ; en 1853, le pape daigne approuver les règles et constitutions de l’Institut de Saint-Pierre-es-Liens.

  • L’abbé Constantin qui recense toutes les chapelles rurales des paroisses du diocèse d’Aix à la fin du XIXè ne cite pas cette chapelle : elle n’est donc pas consacrée, sans office religieux ni abbé désigné.

Le four

Un sondage étroit a été effectué le long du mur ouest de la structure afin de trouver l’entrée du four et confirmer cette interprétation. Une fois le remblai enlevé sur 0,70 m de haut environ, la sole du four est apparue. La base de la voûte du four, composée de blocs de calcaire et de pierres réfractaires semble encore en place, au dessus du niveau de la sole.

Les habitations

Sur le plan cadastral de 1827, les bâtiments sont simplement appelés « maisons », y compris la chapelle actuelle au sud. Celle-ci a donc été aménagée sur une maison abandonnée.

Deux autres maisons sont en cours de restauration.

L’aire de battage

L’aire à battre est mentionnée sur le plan cadastral de 1827 : la parcelle 60 de forme arrondie est effectivement une « aire » qui appartient « aux habitants du Trou indivis ». De petits moellons alignés forment des sortes de raidisseurs contre lesquels s’organisent les petites pierres de la calade. Au centre approximatif de l’aire, un arbre a poussé qui pourrait être situé à l’emplacement du poteau central autour duquel tournait le ou les chevaux qui piétinaient les gerbes de céréales.

La pose de rayons en pierres (raidisseurs) permettait de maintenir d’autres pierres, plus petites, calées et bien serrées entre elles. Les raidisseurs assuraient la cohérence de l’ensemble et sa stabilité.

Les aires étaient toujours installées en plein soleil, car la chaleur et la sécheresse faisaient éclater les épis plus facilement. Une fois amenées sur l’aire, les gerbes étaient étalées et disposées en cercles successifs, « tête en bas » pour que les épis reposent sur le sol.

Le paysan, debout au centre de l’aire, armé d’un fouet, faisait tourner les bêtes en les guidant. Ce pouvait être des bœufs, mais ici, c’était des chevaux ou des mulets, dont le trot plus rapide permettait de gagner du temps.

Les bêtes avaient les yeux bandés, déjà pour les protéger d’une poussière particulièrement irritante, mais aussi pour qu’ils n’aient pas l’idée de partir tout droit… Ainsi piétinés par l’animal, les épis éclataient et libéraient le grain. Tandis que les bêtes tournaient, plusieurs batteurs se plaçaient en bordure de l’aire. Armés de fourches en bois à trois dents, ils repoussaient sous les sabots des bêtes la paille incomplètement brisée et les épis non éclatés. Extrait des aires de battage et foulage, Cugistoria

Les restanques

Les restanques encore visibles depuis la chapelle, servaient à des cultures en espaliers. Leur position pentue et malaisée sur le versant de la montagne, laisse présager beaucoup de difficultés pour les construire et les entretenir.

La chapelle

Compte rendu du Conseil Municipal du 24 septembre 2008 à Saint-Antonin-Sur-Bayon
La chapelle est constituée d’un espace rectangulaire s’appuyant partiellement contre le rocher. Un pan de voûte encore en place laisse deviner l’existence d’un étage supérieur qui était couvert de carreaux de terre cuite. La chapelle proprement dite est précédée au nord d’un espace qui a pu servir de presbytère (ou d’ermitage conformément à la tradition orale).

La voûte a été renforcée par des crochets visibles qui s’appuient sur les parties saines : le but de la restauration n’est pas de cacher ces éléments modernes mais au contraire de permettre de différencier les éléments d’origine des éléments modernes.

Un passage couvert et carrelé a été aménagé vers une grotte entre deux rochers à l’est. C’est peut-être cette cavité, « le Trou », qui a donné son nom au quartier.

Le vantail de la porte en bois était encore en place sur environ 1 m de hauteur lors  de l’ouverture du sondage. Très dégradé en hauteur, il est resté en place vers le bas où il est renforcé par une plaque en métal.

Les marches de l’escalier d’origine se devinent entre l’aire à battre et le presbytère : l’escalier a été reconstruit avec des matériaux modernes. Il y a donc deux accès possibles au site : à partir du refuge et à partir de l’aire de battage.

Le puits n’a pas été sondé : il prouve simplement que le hameau ne manquait pas d’eau.

Proposition de chronologie à partir des éléments rassemblés

Ce n’est pas l’abbé Aubert du Prieuré de Sainte-Victoire qui a construit la chapelle du Trou : il n’en a d’ailleurs construit aucune à Roques-Hautes.

La chapelle du Trou occupe l’emplacement d’une habitation qui existait à la fin du XVIIIè et recensée sur le cadastre napoléonien ; cette habitation a été transformée en chapelle de façon officieuse entre 1854 et 1875, après l’abandon du hameau et pendant la période de présence de la colonie agricole de Beaurecueil. Tout cela est confirmé par l’étude de N. Molina : « La plupart des résultats des sondages dans l’église sont à rattacher à l’histoire de la fin du XIXè et du début du XXè s ». L’emplacement qui jouxte la chapelle a ensuite été aménagé en lieu habitable pour un ermite.

Une partie du mystère reste entier : qui a construit la chapelle ?…

Bibliographie

Textes d’archives traduits par Geneanet (Merci Jean-Louis)
MOLINA (N.), Chapelle et hameau modernes (XIXe siècle) : Bouches-du-Rhône, Saint-Antonin-sur-Bayon, Hameau du Trou : rapport de diagnostic (étude de bâti), Nîmes, Inrap MED, 2010, 66 p.
D’Anna André, Leveau Philippe, Mocci Florence, La montagne Sainte-Victoire de la Préhistoire à la fin de l’Antiquité : les rythmes de l’occupation humaine (prospection-inventaire 1989-1992), Revue archéologique de Narbonnaise, Tome 25, 1992. pp. 265-299
Masson, Paul (éd.), Bergounhoux E., Bouches-du-Rhône (Les) : 15 : encyclopédie départementale : Monographies communales, Archives départementales, 1933
Payan D’augery, Auguste (1832-1897), Le R. P. Fissiaux : étude biographique, Imprimerie Lafare, 1886
Constantin M., Les paroisses du diocèse d’Aix, leurs souvenirs et leurs monuments. Tome 1, Impr. de A. Makaire (Aix), 1890-1898
Saint-Antonin sur Bayon : Une petite commune du pays d’Aix et son histoire,
J. Ganne, J. Ganne, 1999
Beaurecueil : Une petite commune du pays d’Aix et son histoire,
J. Ganne, J. Ganne, 1999
J. Cathala, Un joyau sur Sainte-Victoire : Heurs et malheurs de son prieuré, Les Amis de Sainte-Victoire, 2011

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